31.8.05

Mouettes au coucher, Tcheckhov au pied levé


"Dans l'œuvre de Tchekhov passe un cortège d'esclaves, esclaves de leurs amours, de leur bêtise, de leur paresse ou avidité de bien-être, esclaves d'une peur obscure de la vie, vaguement troublés, remplissant leur existence de discours décousus sur l'avenir, parce qu'ils sentent qu'il n'y a pas de place pour eux dans le présent. Parfois, au cœur de cette masse grise retentit un coup de feu: c'est Ivanov ou Treplev qui a compris ce qu'il avait à faire: mourir. Certains forment de jolis rêves sur la beauté de la vie dans deux cents ans, mais personne ne se pose cette simple question: qui donc la rendra belle, si nous nous bornons à rêver? À côté de cette foule grise et ennuyée d'êtres impuissants, est passé un homme grand, intelligent, attentif. Il a jeté un regard sur ces mornes habitants de sa patrie et, déchiré de désespoir, sur un ton de doux mais profond reproche, il a dit avec un triste sourire, d'une belle voix sincère: "Que vous vivez mal, messieurs !""
Maxime Gorki